
« Peuple de Dieu, cité de l’Emmanuel… »
La question s’était posée, il y a quelques années, de savoir si l’on pouvait chanter un hymne à l’Eglise, celle-ci n’étant pas, de toute évidence, une quatrième personne divine.
Les avis étaient partagés, car certains rappelaient l’usage ancien, qu’atteste par exemple saint Ignace d’Antioche (mort en 107), de faire l’éloge des Églises qu’il rencontrait dans sa route vers le martyre, voyant en elles des réalisations magnifiques de la grâce divine, perceptible dans la charité surnaturelle qui unissait leurs membres, tous accordés « comme les cordes à la cithare » (Lettre aux Ephésiens 4,1). « Quelles sont belles tes tentes, Israël ! » ne pouvait s’empêcher de crier le prophète païen Balaam (Nombres 24,5). Cet émerveillement devant l’Eglise filtre à travers les mots de l’apôtre Pierre, dans sa première lettre, quand il parle des chrétiens : « vous êtes, vous, la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis, afin que vous annonciez les merveilles de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ! » (2,9). Elle est « Gloire de la Sagesse, Corps du Christ et Temple de l’Esprit » renchérit une des préfaces de notre messe actuelle (la 8e du temps dit ordinaire). Les mosaïques romaines (voilà qui nous rapproche de Saint Jean de Latran !) représentent à l’envi la Jérusalem céleste avec les traits très concrets de l’Eglise locale, montrant comment pour leurs auteurs les deux étaient en continuité, l’Eglise « qui est à Rome » étant, pour le temps de ce monde, la plus belle approximation de la Cité sainte qui nous rassemblera tous.
Néanmoins ces hommes n’étaient pas naïfs, ils savaient aussi bien que nous que tout n’est pas parfait dans l’Eglise, que les pires horreurs peuvent coexister parfois avec la plus authentique sainteté. Ce qu’ils contemplaient en elle était pourtant mieux qu’un rêve ou un vague idéal, c’était la face cachée de cette Eglise, la gloire qui l’habite quand elle est vraiment l’Eglise, quand, pour un coup, les hommes qui la composent et la dirigent sont tout simplement à leur place, réalisant ce pour quoi ils sont faits : aimer, louer, servir, enseigner…
Il y a des gens (j’en ai connus) qui aimaient incontestablement l’Eglise, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Ils l’aimaient parce qu’ils y avaient toujours vécu et qu’ils lui étaient attachés comme le cadre même de leur vie, ils aimaient le fonctionnement de l’institution, parce qu’ils y jouaient un rôle, parce que cela leur donnait une raison d’être. Assez souvent, ils rêvaient de la transformer, pour la faire mieux coïncider à leurs idées, parce qu’ils n’avaient pas compris qu’elle ne leur appartenait pas. Ils y avaient si bien leur place, que, même sans la foi, on peut se demander s’ils auraient continué à faire ce qu’ils faisaient.
A eux et à leurs semblables s’adresse la phrase terrible du Seigneur, quand il entend ses disciples s’extasier devant les constructions du Temple de Jérusalem : « Des jours viendront où, de ce que vous regardez, il ne sera pas laissé pierre sur pierre qui ne soit renversé » (Luc 21,6). L’Eglise est éternelle ; fondée sur Pierre, les portes de la Mort ne peuvent rien contre elle. Mais aucune des constructions particulières, des structures mises en place, des commissions, aucun des bureaux, des organismes n’ont les paroles de la vie éternelle. Ce n’est pas cela qu’il faut admirer en elle : réalités très humaines, elles peuvent être nécessaires en un temps, mais, quand elles deviennent plus importantes que ce qu’elles ont à transmettre, elles ne sont pas loin de tomber en poussière.
Salutaire leçon que la longue histoire mouvementée de la basilique Saint Jean de Latran à Rome nous aide peut-être à percevoir.

