
Il gravit la montagne pour prier
De tous les évangélistes saint Luc est celui qui mentionne le plus souvent la prière de Jésus. A tous les moments importants, la prière est là : après son Baptême au Jourdain, Jésus se trouve en prière sur la rive et c’est là que l’Esprit Saint sous la forme d’une colombe descend sur lui (Luc 3,21). Après une de ses premières guérisons, celle d’un lépreux, on nous dit qu’« il se retirait dans les solitudes et que là il priait » (5,15). Il passe encore une nuit entière à prier seul dans la montagne avant d’instituer ses douze apôtres (6,12) et, dans la scène de la Transfiguration qui nous est présentée ce dimanche, tout commence par un rendez-vous de prière : « prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour prier. Et pendant qu’il priait… » (9,28-29). Mais il y aura encore « l’hymne de jubilation » au retour des disciples, lors de leur première mission (10,23). Tout cela jusqu’à la prière dramatique de Gethsémani (22,29).
La prière n’accompagne pas la vie du Christ, elle est sa vie même. La Transfiguration n’est jamais qu’un moment de plus où Jésus en prière s’ouvre à son Père et où cette relation le soulève et rejaillit sur ses traits et tout son corps. Combien d’autres moments ont dû être comme celui-là, mais il n’y avait pas de témoins pour voir la scène et la raconter par la suite. Tandis que là, c’est à dessein qu’il a amené trois de ses disciples, pour qu’ils puissent porter témoignage, renouer les fils de son histoire et raconter ce qui s’était passé.
La Transfiguration n’est pas une parenthèse, un moment de bonheur indicible, vécu en-dehors du monde. Elle n’éloigne pas Jésus de la vie qu’il a commencé à vivre chez les hommes. Avec Moïse et Elie apparus à ses côtés, il parle de son départ (littéralement de son « exode ») qu’il allait accomplir à Jérusalem. C’est dire que la perspective de la Croix n’est pas absente de ce moment de plénitude. « Le Père m’aime parce que je donne ma vie » dira un jour Jésus (Jean 10,17). Tout ce qui arrive à Jésus prend sens à partir de sa mission, c’est pourquoi tant d’épisodes sont illustrés par une phrase de l’Écriture.
Nous ne sommes pas le Verbe incarné, mais il faudrait que notre prière, à nous aussi, soit notre vie, notre vraie vie, le moment où nous coïncidons avec la mission que Dieu nous confie. D’abord parce que la prière est notre première mission, la tâche principale que nous avons à mener au milieu de ce monde, mais aussi parce qu’en elle tout ce qui nous arrive, tout ce que nous faisons ou subissons peut prendre sens, être autre chose qu’une série de hasards au milieu desquels nous sommes ballotés.
Prendre conscience de cela pourrait bien être un objectif pour notre Carême…