
Pierre et Paul !
Depuis le début du christianisme, il y a eu des esprits étroits pour opposer l’un à l’autre le pécheur galiléen et le juif cultivé, le rocher de fondation et l’âme assoiffée de nouveautés qui porte partout le feu du Christ : « moi je suis à Paul ! » ; « moi je suis à Pierre ! ».
Aujourd’hui on ferait facilement de Paul le champion du charisme ouvert sur l’innovation, contre un Pierre qui représenterait l’institution figée.
Mais c’est en vain : face au difficile héritage judéo-chrétien, leurs positions à tous les deux sont au fond les mêmes, même si leurs pédagogies sont différentes : Pierre se sait plus l’apôtre des juifs et Paul celui Gentils, mais tous les deux évangélisent des populations mélangées où les fils d’Israël côtoient des Grecs et des Romains; plusieurs de leurs collaborateurs passent sans peine d’une équipe à l’autre (Marc, Sylvain etc…) ; ils ont œuvré ensemble à la même tâche. Paul n’a pas moins souci que Pierre de donner à l’Eglise une structure solide. A l’heure grave, il a soumis « son évangile » au jugement des Apôtres (où il y avait Pierre et Jacques) pour s‘assurer qu’il n’avait pas « couru en vain » (Galates 2,2).
Mais cela n’enlève rien à leur apport respectif. Pierre a connu trois ans de proximité avec Jésus, de jour comme de nuit, il a vu ses miracles, il a écouté ses enseignements, il a tout partagé avec lui, la faim, la soif, la fatigue, il l’a vu prier, il a été le confident des moments difficiles , comme de la joie de certains jours, surtout il a été mêlé aux événements de sa passion, même s’il n’a pas été très brillant à ce moment-là, il a bénéficié d’une apparition du Ressuscité pour lui tout seul, avant que celui-ci se montre aux onze etc… Il peut dire comme personne qu’il a vu le Christ, il a su son poids d’humanité et deviné sa divinité, « tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Quelle force lui donne ce témoignage ! Il connaît Jésus, il n’en parle pas comme d‘une idée, d’un principe, d’une chose apprise au contact des autres. Il a vu. Et tout son zèle est maintenant de le présenter vivant à ces gens du « Pont, de Galatie, de Cappadoce et de Bithynie » qui ne l’ont jamais rencontré, mais qui, grâce à lui Pierre, l’aimeront et ainsi « exulteront d’une joie inexprimable qui les transfigure » (1Pierre 1,8).
Paul n’a pas cette longue proximité avec Jésus, sa connaissance du Christ se ramène à un moment unique sur le chemin de Damas, lorsque tout lui est apparu à la fois : sa croix, sa Résurrection et sa présence dans l’Eglise. Il n’arrêtera pas de puiser à cette source et sa prodigieuse intelligence en tirera mille conséquences, il y verra la clé de tous les autres mystères et la lumière sur bien des passages de l’Ancienne Loi. Paul est un des plus grands génies que la terre ait portés et nous vivons toujours de ses raccourcis foudroyants : « comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, de même par un homme … » (Rm 5,12), et tant d’autres…
Mais Paul ne nous éblouit pas seulement par sa connaissance du Mystère, il nous partage son expérience intime, comme aucun autre apôtre ne l’a fait. Il nous livre son cœur, il nous dit son désir ardent d’être uni au Christ : « le connaître, Lui, avec la force de sa Résurrection et la communion à ses souffrances » (Philippiens 3,10) ; il nous partage ses joies et ses peines, sa souffrance devant ces chrétiens qu’il a portés comme une mère et qui semblent se détourner de lui. Il nous dit sa joie de tout le travail accompli pour le Christ (« j’ai combattu le bon combat », 2 Timothée 4,7), sa certitude de bientôt partir et d’être enfin « avec lui ». Il met des noms sur cette marche tâtonnante à sa suite que nous sommes appelés à vivre nous aussi : consolations, épreuves, illumination.
Fêtons comme il convient ces deux figures qui nous introduisent, chacun à sa façon, au cœur de la foi.