
La prière du pauvre traverse les cieux
C’est un trait marquant de la Bible que cette compassion de Dieu pour les pauvres. On pourrait pourtant objecter qu’il suffit que les pauvres deviennent riches pour que le problème soit résolu et que Dieu a tous les moyens pour cela. Ce n’est pourtant pas ce qu’il fait, dans la majorité des cas. Le pauvre a un rôle essentiel à jouer pour tous ceux qui usent des biens de ce monde et qui doivent apprendre de lui à en user pour le prochain et, au besoin, à s’en passer, au moins en partie, pour aider les plus démunis : venir en aide à moins favorisé que soi, c’est apprendre à se défaire de la fascination de l’avoir. Il y a pour Dieu quelque chose d’insupportable dans le contentement, la suffisance, l’arrogance, la vaine gloire qui s’attachent chez nous à l’argent.
Regardons-y de près : si Dieu a tout, c’est en réalité qu’il partage tout, au sein de la sainte et indivisible Trinité. Nul entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, ne revendique pour lui-même quoi que ce soit : « tout ce qu’a le Père est à moi » dit Jésus (Jn 16,15) et le père de la parabole de l’enfant prodigue, image du Père des cieux, déclare à son fils : « tout ce qui est à moi est à toi » (Luc 15,31). C’est en ce sens que chaque personne de la Trinité est Dieu, car aucune n’est propriétaire de la divinité : celle-ci circule éternellement entre eux à partir du Père, comme un bien qu’ils partagent, sans limite.
Le pauvre est placé parmi nous pour nous permettre de vivre cette réalité fondamentale, car Dieu aurait pu faire en sorte que chacun d’entre nous naisse avec des capacités identiques et des revenus égaux. S’il a voulu entre nous des disparités que nous interprétons comme des inégalités, c’est pour qu’il y ait chez nous la place pour un don qui vient combler les différences et créer des liens.
Nous savions déjà que la valeur d’un être ne se mesure pas à son compte en banque et que celui qui s’appuie sur la possession des choses sera bien vite déçu, car ces richesses sont instables et décevantes, sources de vrais soucis. Mais le plus grave, c’est que leur possession nous cache Dieu, nous pousse à nous le figurer supérieur à nous parce qu’il a plus, alors qu’en réalité, ce que nous appelons sa richesse, sa beauté, sa vie, sa sainteté font qu’il est incomparablement plus.
C’est ce qui fait qu’il se sente si à l’aise avec les pauvres !

