
Le salut des infidèles
C’est un sujet difficile et sur lequel le Nouveau Testament semble à première vue assez silencieux. Pour les apôtres, il ne fait pas de doute que tout salut vient de Jésus et que chacun est invité à se convertir pour bénéficier de la grâce qui découle de sa Passion et de sa Résurrection. « Il n’est pas d’autre nom donné aux hommes et par lequel nous puissions être sauvés » (Actes 4,12). Même la foi en Dieu ne suffit pas : « quiconque ne reconnaît pas le Fils ne possède pas non plus le Père » (1re lettre de Jean 1,23).
Pourtant les premiers chrétiens vivaient dans un monde où leur foi n’était partagée que par un tout petit nombre de personnes. Et ils n’ignoraient pas qu’il y avait en dehors du bassin méditerranéen d’innombrables peuples non encore évangélisés. Pourtant ils avaient reçu cette assurance que « celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné » (Marc 16,16), notons que le texte ne dit pas « celui qui refusera de croire » (comme on l’a dans nos traductions liturgiques), mais simplement « qui ne croira pas ».
Avaient-ils donc le sentiment d’être un minuscule noyau de privilégiés au milieu d’une humanité condamnée à sa perte ? Si c’était le cas, ils se seraient refermés sur eux-mêmes et ils auraient refusé de se mêler à ce monde corrompu, même pour lui annoncer la Bonne Nouvelle. En tout cas, saint Paul dans la lecture de ce dimanche dit clairement : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », phrase qui a toujours embarrassé les jansénistes de tout poil.
Mais il ajoute tout de suite « car il n’y a qu’un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes : le Seigneur Jésus-Christ » (2,5). « Car », cela veut dire que l’accent mis sur l’unicité de Dieu et l’unicité de la médiation christique ne s’oppose pas à ce qu’il a dit avant (« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés »), c’en est même le fondement : il n’y a pas plusieurs espèces d’hommes, toute l’humanité a été créée par Dieu dans un unique amour et c’est pour le salut de tous qu’il a envoyé son Fils. Mais alors comment comprendre que la rencontre entre la démarche de Dieu nous envoyant son Fils et la liberté des hommes répondant à cette vocation ne soit pas toujours et partout réalisée ? C’est ce que l’Ecriture ne dit pas.
Depuis des siècles, il y a des hypothèses qui ont eu cours pour combler ce vide. La plus simple est de penser que les hommes peuvent rencontrer Dieu et même la Christ à travers des valeurs humanitaires ou religieuses, qui (heureusement) ne manquent pas. Mais ces valeurs existaient déjà au moment où Jésus est venu parmi les hommes, il y avait des gens généreux, des mystiques, des stoïciens qui prêchaient des principes pas si éloignés du christianisme. Et pourtant saint Paul n’arrête pas de nous dire que sans le Christ nous étions perdus… Alors ?
Ne serait-ce pas pour nous empêcher de nous mettre à la place de Dieu et d’inventer un chemin de rattrapage qui remplacerait la voie que nous a indiquée Jésus (« allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit » Matthieu, 28,19-20). L’évangélisation est la seule chose que nous pouvons tenter et dont nous ne doutons pas qu’elle réalise le plan de Dieu, c’est son secret. Avec tous ceux que nous ne pouvons pas approcher et à qui nous pouvons proposer une démarche vers Jésus, faisons confiance à Dieu qui veut plus ardemment que nous leur salut. Par ailleurs essayons de mener une vie aussi droite que possible, mais sans jamais croire que notre exemple soit de nature, à lui seul, à convaincre personne.