
Si Nicée n’avait pas existé
En cette année où nous fêtons 17e centenaire du concile de Nicée, la fête liturgique arrive bien à propos pour nous faire réfléchir sur toute une part non négligeable de notre foi : la sainte et indivisible Trinité. C’est bien nécessaire, si nous voulons assumer en connaissance de cause notre héritage et le faire connaître, même si d’aucuns seraient prêts à le mettre au musée des veilles croyances obsolètes. En apprenant aux catholiques du 21e siècle la dette qu’ils ont à l’égard des 318 évêques réunis à Nicée, les recherches faites ces deniers temps nous préservent d‘une vision trop idyllique des choses : ce fut certes, comme toute réunion de ce type, un forum où s’affrontèrent des personnalités de diverses tendances et où la présence de l’empereur obligea les participants à dominer leurs querelles et à arriver à un texte clair. Mais, au-delà des péripéties, nous voyons sans peine ce que nous avons gagné à l’occasion de cette rencontre.
S’il n’y avait pas eu un éclaircissement portant sur la nature même du Christ – est-il une créature (même supérieure) ou bien est-il le créateur ? – on aurait traîné pendant longtemps une incertitude qui aurait donné raison à tous les adversaires du christianisme. Si nous ne savons pas très bien qui est Jésus, son message n’a plus rien de décisif, sa mort n’est qu’un fait divers et Dieu reste dans le lointain. Belle figure sans doute que celle du rabbi de Nazareth, ses propos sont enthousiasmants, mais tout cela ne tranche pas fondamentalement avec les innombrables tentatives faites hier et aujourd’hui pour éclairer la condition humaine, organiser la vie en société, ou tenter d’approcher du divin.
Imaginons que les Pères du Concile, gagnés par quelques beaux parleurs, aient lâché du lest sur la divinité du Christ, prenant celle-ci en un sens vague (Dieu, c’est tout ce qui nous éveille à l’absolu, etc…). Ils auraient par-là tourné le dos à l’expérience biblique du Dieu trois fois saint, séparé et agissant, faisant librement alliance avec l’homme. Jésus n’aurait été que l’interprète d’un divin qui ne provoque aucune conversion et qui ne nous révèle rien d’autre que le replis tortueux de notre âme.
Ils auraient même manqué ce qu’il y de plus humain en Jésus en l’alignant sur d’autres sages et réformateurs qui ont pour un temps marqué l’humanité : ses souffrances qu’on cherche à banaliser en disant qu’il y en a eu d’autres qui ont souffert autant que lui et surtout plus longtemps, et puis cet amour visionnaire de l’homme si perceptible dans ses gestes et ses paroles, et qui ne serait plus alors que philanthropie, dévouement méritoire ou au contraire révolte pour mettre fin à l’exploitation des puissants de ce monde.
Ils auront tout manqué, parce qu’ils ont perdu le lien qui unit chez lui la transcendance divine et l’extrême du don fait aux hommes. N’ayant pas reconnu en lui le Tout Puissant jusque sur la Croix, ils rendront fades ses paroles et insignifiantes ses promesses.
Rendons grâce à Dieu qu’il y ait pu avoir dans l’assemblée hétéroclite réunie à Nicée assez de simples croyants pour oser ratifier le paradoxe : « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père ».